DÉCLARATION PUBLIQUE
HALTE A LA RÉPRESSION ET RESPECT DES DROITS HUMAINS AU CHILI
Étant donné la situation qu’affrontent les communautés Mapuche, nous, soussignés, déclarons devant l’opinion publique nationale et internationale ce qui suit:
1. Nous exprimons notre plus profonde préoccupation concernant les récents actes de violence policière commis dans la Province d’Arauco, Région du Bio Bio, ainsi que dans les régions d’Araucanie et de Los Rios au Chili où, de l’usage démesuré de la force et d’éléments dissuasifs, on est passé, franchement et ouvertement, à l’usage d’armement de gros calibre contre des manifestants de communautés Mapuche, comme on a pu l’observer ces deux derniers mois de 2015. C’est pourquoi nous rappelons l’obligation qu’a l’État chilien de garantir le strict respect des droits humains et des droits des peuples originaires, tel que le mentionnent la Déclaration sur les Droits des Peuples Indigènes des Nations Unies et la Convention 169 de l’OIT que notre pays a signé.
2. Nous estimons que l’État chilien viole les droits humains en tolérant l’existence d’un système d’impunité qui a permis que la violence ne cesse pas et qu’elle progresse jusqu’à permettre à l’Etat l’application de lois d’exception, comme la Loi anti-terroriste, la militarisation du territoire et d’autres mesures qui ont mis en place un véritable état d’exception de fait dans le territoire ancestral Mapuche. Cette situation répressive permet d’observer, une fois écoulés les premiers deux mois de 2015, les faits suivants concernant l’action en dehors de toute légalité et légitimité de l’État chilien et de ses forces de police:
a) Le 14 janvier 2015, Gastón Antileo Marileo, Martín Marileo Calbullanca, Vitalina Sanhueza et Luis Antio (membres du Lof Cacique Antonio Paillao) ont été détenus par des fonctionnaires de Carabineros (gendarmes) après leur expulsion de la propriété Cañihual, dans le secteur de La Campana, aux environs de Tirúa. Gastón Antileo et Martín Marileo ont été gravement blessés par des armes à feu de gros calibre tirées directement sur eux par des forces policières qui n’ont pas voulu utiliser des moyens dissuasifs.
b) le 9 février 2015, la Cour d’Appel de Concepción a rejeté un recours de garantie déposé par l’Institut National des Droits de l’Homme (INDH) en faveur des deux membres de communautés considérant que l’agissement des gendarmes avait été illégal et arbitraire.
c) Le 22 janvier 2015, les membres de communauté Mario Cayupi, Julio Castro et José Huenuche ont été détenus par des effectifs de gendarmerie du Chili. Ils revendiquent un domaine inscrit comme propriété de l’entreprise Mininco en Haut Rihue, secteur de Huentelolén. Après l’audience d’inculpation, Mario Cayupi et Julio Castro ont été laissés en liberté assortie de mesures de garantie, alors que José Huenuche a été détenu en prison préventive et inculpé sous l’accusation de tentative de vol de bois. José Huenuche est un des membres de communauté Mapuche connu pour avoir été antérieurement jugé en application de la loi anti-terroriste et condamné pour une supposée attaque d’un convoi mené par le procureur Mario Elgueta; attaque à laquelle auraient participé d’autres membres de communautés appartenant à la Coordinadora Arauco Malleco (CAM), et dans l’un de ces procès, on a pu constater de graves erreurs et falsifications contraires au droit et à un procès équitable.
d) Le 14 février 2015, cinq fonctionnaires de la Police de Investigaciones (police judiciaire) ont agi avec une extrême violence contre des membres de la communauté Nicolás Calbullanca, dans le secteur de Lleu Lleu, province de Arauco (VIIIe Région du Bio Bio). Lors de l’arrestation de l’un d’entre eux, ils ont menotté une personne âgée et frappé deux enfants de 5 et 7 ans sur lesquels ils ont en plus pointé leurs armes, avant de retrouver le membre de la communauté objet de la détention. Il faut signaler qu’étant donné sa résistance, les policiers ont fait usage de leurs armes touchant une camionnette appartenant à un autre membre de communauté qui circulait par hasard dans le secteur et transportait avec lui un enfant de 4 ans.
e) Le 18 février 2015, dans le secteur du Haut d’Antiquina, commune de Cañete (VIIIe Région du Bio Bio), des forces militarisées de Carabineros (gendames) et de Investigaciones (police judiciaire) ont exercé une brutale répression contre des communautés Mapuche qui revendiquent leur territoire sur lequel se trouvent les entreprises forestières Mininco, Arauco et Volterra. Deux membres de communautés ont été gravement blessés par balles d’acier et quatre autres ont été arrêtés et frappés.
f) Le même jour, l’INDH a déposé plainte auprès du Juge de garantie de Temuco contre des actes illégitimes commis par des foncionnaires de Investigaciones de la Préfecture provinciale de Cautin (IXe Région). Enrique Mauricio Sandoval, membre de la communauté Lleuful Sandoval, commune de Padre Las Casas (IXe Region de l’Araucaníe) avait été cité par cette police à témoigner le 3 février 2015. Selon les déclarations d’Oscar Rabanal Toro, l’avocat ayant déposé plainte, Sandoval a été torturé par les fonctionnaires de Investigaciones qui l’interrogeaient.
g) De même que José Huenuche, il y a plus de 40 personnes privées de liberté en raison de leur engagement pour la défense de leurs droits comme peuple ou pour leur sympathie avec la cause Mapuche; une fois détenus, ils n’ont pas le droit à un procès équitable, un droit effectif à la défense comme tout citoyen et, plus encore, on les accuse et on les stigmatise publiquement dans les médias sans que preuve soit faite de leur culpabilité. Un des cas les plus flagrants sur la partialité de la justice est illustré par le cas d’Emilio Berkhoff dans lequel, malgré la détermination du Tribunal Constitutionnel de faire retirer 14 témoins “sans visage” –témoins anonymes- et leurs accusations, ces mêmes accusations ont été maintenues avec la présentation de policiers qui ont agi comme des “témoins auditifs”.
Quelque chose de similaire s’est produit le 16 février dernier quand le juge de Garantie de Collipulli, après une audience de préparation du procès oral, a admis l’utilisation d’un témoin “sans visage” à l’encontre de cinq Mapuche, parmi lesquels se trouvaient deux jeunes filles mineures. Par cette décision, de même que dans le cas d’Emilio Berkhoff, la justice chilienne se situe en franche contradiction avec la sentence de la Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme qui, déjà dans le cas Norin Catriman et autres, a rejeté l’utilisation de témoins “sans visage” comme moyen de preuve à l’encontre de Mapuche.
h) A tout cela s’ajoutent les déplorables conditions d’emprisonnement dans lesquelles se trouvent les prisonniers politiques Mapuche et, comme si ce n’était pas suffisant, la Gendarmerie du Chili continue à jouer un rôle de tortionnaire contre des personnes sans défense et à leurs dépens comme ce qui est arrivé le 16 février dernier au Centre de Détention d’Angol, où le directeur commandant Fernando Olivares Osorio a fait sortir de sa cellule de réclusion, Claudio Huentecol Huentecol, à 11h20 du matin, pour l’amener à la garde interne où il a été enfermé et menotté pour ensuite se voir arrachés ses vêtements et laissé nu et, dans ces conditions, ramené à sa cellule.
I) De la même façon, nous dénonçons le récent séquestre, par des inconnus, de la mère des porte-parole Jorge et Jaime Huenchullan Cayul, de la Communauté Autonome de Temucuicui, le vendredi 20 février 2015. Ce fait doit être éclairci car il est grave que des civils agissent comme des organisations terroristes ou qu’ils soient des agents de l’État engagés dans des actions de cette nature.
4. En raison de tout ce qui précède, nous appelons le Gouvernement, les Tribunaux de Justice, le Ministère de la Justice et l’Institut National des Droits Humains à mettre fin à cet état de répression mené contre le peuple Mapuche et ses communautés et à accomplir ses obligations nationales et internationales de respect des droits humains, et à mettre fin une fois pour toutes à la violence démesurée exercée par les Carabineros et les agents de Investigaciones qui ne se contiennent même pas en présence de mineurs et de personnes âgées, de même que d’arrêter l’attitude discriminatoire et les actions de torture exercées par les Gendarmes du Chili à l’intérieur des prisons.
5. L’État chilien doit s’ajuster aux engagements internationaux en matière des droits des peuples originaires qui habitent notre pays et comprendre que ces peuples ont commencé un processus d’exercice du légitime droit à la récupération de leurs terres, à l’autonomie et à l’autodétermination. Leurs actions liées au droit d’exercer le contrôle et la récupération de territoires qui se trouvent usurpés par des entreprises forestières ne peuvent continuer à être désignées devant l’opinion publique comme “vol de bois”, car cela constitue un montage qui tend volontairement à déformer leurs luttes et leurs revendications et à traiter les Mapuche de voleurs quand ce ne sont précisément pas eux les étrangers qui se sont approprié et ont surexploité ces territoires, spolié leurs ressources, détruit leurs symboles culturels, religieux et spirituels et ce ne sont pas eux qui ont installé des centrales hydro-électriques, comme à Pilmaiquén, et des entreprises forestières comme Mininco, Volterra et Arauco, entre autres projets économiques extractivistes nationaux et internationaux.
6. Nous exigeons la liberté immédiate de José Huenuche et de toutes et tous les prisonniers politiques Mapuche. L’État, en protégeant les intérêts des entreprises forestières, est en train d’exercer une véritable persécution politique à l’encontre des membres de communautés Mapuche et de ceux qui se solidarisent à cette cause. Cette persécution doit cesser si l’on prétend bâtir un futur de paix et de justice.
7. Fin de la militarisation du territoire Mapuche et protection immédiate des droits des enfants ainsi que des personnes âgées et des femmes. Les forces répressives doivent se retirer immédiatement du territoire appartenant aux communautés et mettre fin au système de “’patrouilles ethniques” dans tout le territoire Mapuche.
8. Nous exigeons le respect des autorités ancestrales du peuple Mapuche, car il s’agit de dirigeants ancestraux, spirituels et sociaux de leur peuple. Soumettre à la prison politique et exercer la violence contre des Lonkos, werkenes et machis (dirigeants, porte-parole, autorités traditionnelles) et vise à détruire le tissu social et identitaire fondamental pour la continuité de la vision cosmique du peuple Mapuche.
Comisión Ética Contra la Tortura – Coordinadora Jurídica 4 de Agosto
Santiago du Chili, lundi 23 février 2015
Traduction : Terre et Liberté pour Arauco
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