Le 19 juillet 2016, Adama Traoré décédait le jour de ses 24 ans dans des circonstances troubles peu après son interpellation par trois gendarmes à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise). Depuis, ses proches demandent la “justice et la vérité” sur sa mort. Depuis, aussi, plusieurs de ses frères ont été condamnés et incarcérés dans le cadre d’affaires en lien ou non avec le drame : Bagui Traoré, Yssoufou Traoré, Yacouba Traoré, Samba Traoré. “Que paie ma famille aujourd’hui ? J’ai le sentiment que notre combat pour rendre justice à Adama dérange”, avait déclaré à l’Obs Assa Traoré en novembre 2016, évoquant l’incarcération de son frère Bagui Traoré.
De quoi enjoindre le Comité Adama à évoquer un “acharnement judiciaire” à son encontre, Assa Traoré arguant par exemple en mars 2017 dans 20 minutes que Bagui “est le principal témoin de toute l’affaire. Il est la dernière personne à avoir vu Adama vivant et la première à l’avoir vu mort”. L’interpellation d’Adama Traoré avait en effet eu lieu dans le cadre d’une enquête visant Bagui : les deux frères, ayant seulement six mois d’écart et décrits comme “fusionnels”, se trouvaient ensemble lors du contrôle des gendarmes à Beaumont-sur-Oise. Adama Traoré avait finalement pris la fuite “parce qu’il n’avait pas ses papiers sur lui” (Libé citant en 2016 la famille Traoré). Bagui Traoré avait ensuite raconté à Franceinfo avoir vu son frère sur le sol de la gendarmerie.
Un conseil municipal qui dégénère
Pourquoi Bagui est-il aujourd’hui en prison ? S’il est actuellement incarcéré dans le cadre d’une autre affaire – le Parisien rappelle qu’il a été condamné en avril 2018 à 30 mois de prison ferme par le tribunal de Pontoise pour une “série d’extorsions et d’escroqueries sur des personnes vulnérables entre 2015 et 2016”, c’est d’ailleurs pour ces faits qu’il avait été contrôlé à Beaumont-sur-Oise en juillet 2016 – il l’est aussi au titre de dossiers postérieurs à la mort de son petit-frère.
Tout part d’un conseil municipal à Beaumont-sur-Oise, le 17 novembre 2016, soit quatre mois environ après la mort d’Adama. Celui-ci est à l’époque organisé à la demande de Nathalie Groux, maire UDI de Beaumont-sur-Oise, qui souhaite voter le financement de “sa mise en protection fonctionnelle” par la mairie, après avoir porté plainte pour “insultes, outrages et menaces” dans la foulée de l’affaire Adama Traoré. La famille du jeune homme tente ce soir-là d’assister à ce conseil, encadré par les forces de l’ordre, mais se voit refuser l’accès. C’est alors que la situation dégénère : une policière municipale reçoit notamment un coup de poing au visage, la foule est dispersé par des gaz lacrymogènes. Plusieurs gendarmes et policiers présents portent finalement plainte contre Bagui et Yssoufou Traoré pour des faits d’outrages, de menaces de mort et de violences à leur encontre.
Six mois de prison ferme
Si lors du procès devant le tribunal correctionnel de Pontoise – auquel les Inrocks avaient assisté, en 2016 – ils clameront leur innocence, ils seront respectivement condamnés à huit mois de prison ferme pour outrages et violences et six mois dont trois avec sursis pour outrages et menaces de mort. Leur conseil de l’époque, Maître Yassine Bouzrou, évoquera lui “une enquête bidon, une enquête pourrie”, mettant par exemple en avant “des déclarations évolutives” de la part de plusieurs membres des forces de l’ordre interrogés sur l’identification formelle des deux frères – le chef de la brigade de gendarmerie de Persan assurera, lui, “avoir identifié formellement Bagui Traoré”. La policière ayant reçu le coup de poing, elle, avait d’abord porté plainte contre X, puis contre Bagui. Lors du procès, elle avait affirmé qu’on “lui [avait] dit formellement que c’était Bagui Traoré”.
L’exploitation de deux vidéos par les enquêteurs, qui, pour les identifier, s’étaient basés sur les tenues vestimentaires de Bagui et Yssoufou en les recoupant avec les témoignages de forces de l’ordre, ne convaincra pas non plus la défense, mettant en exergue des “contradictions” concernant l’identification de leurs vêtements, jamais perçus de la même couleur. Me Bouzrou fera appel de la décision des juges concernant Bagui Traoré. Lors du jugement en appel, en juin 2017, le tribunal donnera finalement raison aux forces de l’ordre, et Bagui écopera de six mois de prison ferme.
Soupçonné à tort d’avoir mimé un pistolet face à des gendarmes
En juillet 2018, Bagui Traoré a en revanche été relaxé dans le cadre d’une affaire d’”outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique”, accusé à tort d’avoir mimé un pistolet avec ses mains face à des gendarmes – c’était apparemment en fait le signe de mains de… Jul – peu de temps après le décès d’Adama Traoré, cf. cet article de Cliquetv. Dans Le Combat Adama, son livre co-écrit avec le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, Assa Traoré met en avant le coût pécuniaire de toutes ces procédures qui, selon elle, serviraient sciemment à assécher financièrement sa famille : “On parle beaucoup de droit mais quand il n’y a pas d’argent il n’y a pas de justice.”
En mars 2017, Bagui Traoré a également été mis en examen et placé en garde à vue pour “tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique”, soupçonné d’avoir tiré sur des gendarmes lors des nuits de violences ayant eu lieu à Beaumont-sur-Oise et Persan, peu après le décès d’Adama Traoré, en juillet 2016. Treize gendarmes et policiers avaient été blessés, pour une soixantaine de coups de feu tirés en cinq nuits (le Parisien citant une source policière). D’où l’ouverture d’une information judiciaire sur ces tirs, ainsi qu’une enquête confiée à la section de recherches de Versailles.
Un renvoi devant la cour d’assises ?
Comme le rappelle StreetPress, Assa Traoré avait déclaré à l’occasion d’une conférence de presse qu’il s’agissait selon elle d’une “machine judiciaire mise en place pour casser la mobilisation” [autour du combat Adama]. Bagui Traoré avait alors, selon sa famille, entamé une grève de la faim en signe de protestation. A l’époque de sa mise en examen, son conseil d’alors, Me Bouzrou avait déclaré que son client “contest[ait] son implication dans les tirs”.
Contacté par Les Inrocks, l’un de ses avocats actuels, Maître Florian Lastelle, dit la même chose : “On considère qu’il est innocent. Il n’y a aucune preuve que Bagui a participé aux émeutes, et il a toujours nié sa participation.” Où en est le dossier ? “Les juges d’instruction avaient décidé de renvoyer tout le monde [d’autres personnes mises en examen pour les mêmes faits, ndlr] devant le tribunal correctionnel, en considérant qu’il n’y avait pas de preuve d’une intention d’homicide dans le cadre de ces émeutes. Le Parquet de Pontoise a interjeté en appel d’ordonnance de renvoi en chambre correctionnelle pour voir les faits être criminalisés. On peut donc s’attendre à ce que tout le monde soit renvoyé devant la cour d’assises.” Et d’ajouter : “Bagui n’est pas un saint. Mais c’est quelqu’un qui n’a pas commis les faits qui lui sont reprochés dans ce dossier-là, ce que nous clamerons devant la cour d’assises”. D’après l’avocat, la décision des juges d’instruction concernant le renvoi probable en cour d’assises devrait être rendue de façon imminente.
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