L’avocat du militant basque incarcéré depuis le 16 mai dernier, ses proches et l’expert en résolution de conflit Andy Carl attendent de l’exécutif français qu’il rejette la procédure d’extradition émise par l’Etat espagnol. Josu Urrutikoetxea va engager une demande d’asile et protection.
Film-événement du Fipa cette année, « Pays Basque et liberté, un long chemin vers la paix » de Thomas Lacoste a porté sur le grand écran la question de la résolution du conflit basque. Cela a été l’occasion d’évoquer le cas d’un des nombreux protagonistes du documentaire, Josu Urrutikoetxea, lors d’une conférence de presse réalisée à Biarritz, le 24 janvier, par le réalisateur, ses soutiens et le consultant en résolution de conflit britannique Andy Carl. Alors que le gouvernement français doit se positionner sur les procédures d’extradition formulées par les autorités espagnoles, ils ont demandé l’application du droit d’asile et de protection pour cet artisan du processus de paix actuellement incarcéré et ont annoncé des initiatives à venir de la part de parlementaires.
La demande d’asile devrait être formellement faite dans les prochains jours. Elle pourrait avoir un impact sur les autres procédures, « mais il est difficile de mesurer les délais », précise Laurent Pasquet-Marinacce, avocat au barreau de Paris. Josu Urrutikoetxea fait l’objet de deux procédures judiciaires françaises, deux mandats d’arrêt européens espagnols et deux demandes d’extradition émises par le même pays. Ces deux demandes ont été examinées le 8 janvier par la cour d’appel de Paris, l’une d’elles a été renvoyée pour un complément d’information, l’autre a été acceptée. Suite à quoi la défense a formulé un pourvoi en cassation. Quoi qu’il arrive, dans ce genre de procédure, la décision définitive dépend du gouvernement français.
Pour ses proches, il en va de la crédibilité de l’Etat dans le rôle qu’il souhaite jouer à travers le monde. « Le cas de mon père dépasse le cas particulier basque et met en lumière les processus de résolution des conflits à l’échelle internationale », estime son fils, Egoitz. Ancien membre d’ETA, Josu Urrutikoetxea a été à plusieurs reprises désigné comme interlocuteur dans le cadre de négociations avec l’Etat espagnol. Il a préparé celles d’Alger en 1989, il a participé à celles de Genève en 2006, et Oslo en 2011. Aujourd’hui, ses proches attendent de l’Etat qu’il prenne en compte le rôle de ce négociateur qui, à plusieurs reprises, a bénéficié de l’immunité diplomatique. « La Suisse et la Norvège sont touchées par cette affaire et l’Etat affaiblit sa position au niveau international en ne respectant pas le cadre de ce type de processus, d’après Egoitz Urrutikoetxea. Si un Etat européen n’apporte pas de garantie, c’est la possibilité de chercher des solutions à un conflit qui est remise en cause ».
Un problème qui revient régulièrement dans les processus de paix à travers le monde, d’après Andy Carl, pour qui la question de l’immunité est la pierre d’achoppement dans ces processus. Le cofondateur de l’ONG Conciliation Resources – Royaume-Uni, qui avait cosigné une tribune libre sur Urrutikoetxea au printemps dernier, est venu expressément à Biarritz pour assister à la conférence de presse et défendre son rôle d’interlocuteur.
Dans le cas du militant basque, « le gouvernement espagnol lui a accordé par deux fois des garanties d’immunité diplomatique et de sécurité. Donc, sa première arrestation du 16 mai [dans l’Etat français] est une atteinte à un des principes fondamentaux de l’Etat de droit, celui de sa sécurité juridique et de la confiance qui était à la base des processus de 2006 et 2011. C’est une véritable déloyauté », dénonce son fils.
Visite de parlementaires
La déloyauté viendrait également de la part de la Justice, d’après Me Pasquet-Marinacce. Il estime que le ministère public a utilisé certaines procédures à d’autres fins que celles pour lesquelles la loi les a prévues. Le 19 juin, la cour d’appel de Paris avait prononcé la mise en liberté sous contrôle judiciaire d’Urrutikoetxea dans le cadre des procédures françaises, mais la décision a été annulée dans les faits par l’intervention du parquet général qui a notifié à Urrutikoetxea dans la foulée les procédures espagnoles.
Une « précipitation » qui révèlerait, selon l’avocat, une volonté politique peu dissimulée. « En mai dernier, le responsable de la communication de la Garde Civile [espagnole], a expliqué que c’était une très bonne nouvelle pour les Espagnols, parce que Josu Urrutikoetxea était devenu une cible prioritaire, ‘en raison du rôle politique qu’il a joué dans la fin de la lutte armée en 2011′ », a-t-il rappelé. Ce qui lui fait dire que le cas d’Urrutikoetxea est accessoirement un cas judiciaire, mais d’abord un cas politique.
L’homme de 69 ans est détenu à la prison de la Santé, à Paris, depuis son arrestation en Haute-Savoie le 16 mai dernier. Dans les semaines à venir, il devrait recevoir la visite d’une délégation de parlementaires issus de partis politiques différents, décidés à sensibiliser le gouvernement français sur son cas. Ils pourraient par ailleurs poser une question d’actualité au Gouvernement dans l’hémicycle, avant qu’il ne décide de signer ou pas le décret d’extradition.
« Beaucoup de courage »
Au-delà des questions juridiques et diplomatiques, les intervenants ont parlé du rôle qu’a joué Urrutikoetxea, l’homme, dans le processus de résolution. Un aspect sur lequel le film de Thomas Lacoste met la focale, d’après Andy Carl : le sacrifice, le courage et le prix que paient les gens lorsqu’ils s’engagent dans un processus de paix. « Ces processus prennent leur source à l’intérieur même des groupes impliqués dans un conflit. Les processus ne commencent pas au moment des signatures de paix », relève le consultant. Josu Urrutikoetxea aurait utilisé ses compétences, ses connaissances dans le groupe, dit-il, pour engager ce processus. « Ce choix n’est pas un chemin de roses, mais plutôt d’embuches qui implique une capacité de dialogue et beaucoup de courage. Cela me touche d’un point de vue humain », a-t-il confié.
Une considération difficile à partager à certains niveaux, car les hommes politiques et les gouvernements sont très rapides pour intégrer des personnes sur une liste noire, mais ils mettent plus de temps pour les en retirer. Carl a cité Nelson Mandela en exemple, lui qui a été effacé de la liste noire des Etats-Unis qu’une fois après avoir reçu le prix Nobel de la paix. Il a également fait référence aux membres de la Generalitat de Catalogne accusés de rébellion pour s’être engagés dans un processus de discussion avec Madrid. En somme, dans le cas de Josu Urrutikoetxea comme les autres, c’est la reconnaissance du processus de résolution du conflit par toutes les parties qui est en jeu.
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