La manifestation s’est élancée de la salle Lauga à 15 heures. Des joaldun ont ouvert la marche, suivis par une dizaine de tracteurs. Derrière ces derniers ont marché les familles des prisonniers, tenant une grande banderole « Orain presoak ». Puis suivait la banderole de tête de manifestation tenue par des jeunes, sur laquelle on pouvait lire « Ne faisons pas bégayer l’Histoire », en référence aux propos tenus publiquement par le Président français Emmanuel Macron le 17 mai 2019, à Biarritz. « Nous ne voulons pas non plus que l’Histoire bégaie ; nous voulons aller de l’avant ; nous voulons un avenir pour nos enfants et petits-enfants » ont expliqué en amont de la mobilisation les organisateurs.
D’où le choix d’une tête de cortège composée par une dizaine de jeunes, parmi lesquels Joana Hoquy (maraîchère, membre des associations Azia et Prefosta), Zibel Damestoy (danseuse professionnelle, membre de la compagnie Bilaka), Aitzol Gil de San Vicente (fils d’anciens prisonniers basques) ou encore Yohan Rivière et Luzio Lizarralde, membres de Fridays For Future Pays Basque.
« [Ils] représentent les nouvelles générations du Pays Basque qui ne veulent surtout pas voir l’Histoire se répéter ou si l’on préfère, « bégayer ». Eux, qui construiront le futur proche, aspirent à une paix juste et durable dans une société apaisée », ont expliqué les organisateurs.
Nouveau blocage avec Paris
Lors des prises de paroles finales, Maider Behoteguy et Kotte Ecenarro, tous les deux vice-présidents de la Communauté d’agglomération Pays Basque, se sont relayés sur la scène dressée devant les manifestants pour souligner les « pas obtenus » suite à la manifestation de janvier 2019, dont les revendications premières étaient la suppression des mesures d’exception et le déblocage des relations avec Paris. Rapprochements de prisonniers, levée des statuts de DPS… « Nous sommes quasiment au bout de la première phase, celle de la fin des mesures d’exception ».
10 000 personnes en soutien aux prisonniers basques à Bayonne. © DR
Malgré le chemin parcouru, les élus ont souligné que d’autres obstacles restent à surmonter. « Nous sommes encore loin du but, ont-ils rappelé. Si les juges d’application des peines commencent à intégrer le nouveau contexte politique du Pays Basque et à répondre favorablement aux demandes de libération conditionnelle comme pour Xistor Haranburu, Lorentxa Beyrie, ou Ibon Fernandez, le parquet, qui est sous la responsabilité du gouvernement, fait systématiquement appel, considérant que rien n’a changé. C’est une insulte à l’intelligence collective du Pays Basque ! »
Les élus ont fait part de « leur colère face à l’attitude du parquet » et ont demandé au gouvernement un « changement de position sur le sujet ». « La volonté de paix d’un territoire et les actes qui traduisent cette volonté doivent l’emporter sur l’esprit de vengeance et la tentation de rester enlisé dans le passé » ont-ils poursuivi.
Les deux élus de Bardos et Hendaye annoncent le départ d’une nouvelle étape, mettant en avant le fait qu’ « il n’y a pas de processus de paix durable avec des prisonniers en prison ». Rappelant que tous les mécanismes de résolution de conflit à travers le monde ont permis la libération des prisonniers par la mise en place de procédures innovantes, ils appellent à la création d’ « une forme de justice transitionnelle pour le Pays Basque, qui veillera à garantir le droit de toutes les victimes à la justice, à la vérité, aux réparations et aux garanties de non-répétition. C’est cette seconde phase qui offrira à tous les prisonniers une perspective autre que la prison ».
Les représentants de la CAPB ont conclu leur discours en rappelant les propos de Macron. « Hitza Hitz ! Ne faisons pas bégayer l’Histoire ! » Le président a été prié de « passer de la parole aux actes », car les paroles « n’engagent pas que ceux qui y croient, elles engagent aussi et d’abord ceux qui les ont prononcées ».
De leur côté, Michel Berhocoirigoin et Anaiz Funosas, représentants des Artisans de la paix et de Bake Bidea, organisateurs du rassemblement, confirment qu’après deux ans de discussion avec Paris, « nous sommes aujourd’hui quasiment à la fin des mesures d’exception. Et cela n’a pas provoqué de rupture diplomatique avec l’Etat espagnol ». Ils ont qualifié la situation de bloquée : « Nous sommes aujourd’hui dans une situation bloquée. Nous sommes arrivés à la fin d’une étape, mais nos interlocuteurs considèrent que nous sommes rendus au bout du processus. Eh bien, non ! La fin des mesures d’exception, tout comme la fin de la violence politique ne constituent pas à elles seules les conditions d’une paix durable et d’un vivre ensemble souhaité : elles en sont des conditions absolument nécessaires, mais pas suffisantes ! » ont-ils scandé.
Vers une justice transitionnelle
Une seconde étape doit donc s’ouvrir, d’après eux, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce que « la position du Parquet est absolument contraire à l’exigence de paix de tout un territoire. Elle est la négation de la situation politique nouvelle qui garantit la non répétition du passé. Nous ne voulons plus voir une remise en cause par le Parquet, des libérations conditionnelles validées par des juges qui commencent justement à intégrer le nouveau contexte politique du Pays Basque ».
Au mois d’avril prochain, « quatre prisonniers basques auront accompli leur trentième année en détention : Unai Parot en Espagne, Jon Parot, Jakes Esnal et Frederik « Xistor » Haranburu. Ces trois derniers ont accompli depuis plus de dix ans la peine de sûreté à laquelle ils étaient condamnés. Continuer à les garder en prison est une menace insensée par rapport à tout un équilibre qui se construit patiemment entre des gens aux statuts et engagements très différents, unis dans le processus par la volonté de sortir d’une histoire douloureuse par le haut », déplore le collectif. Pour lui, « maintenir ces personnes en détention revient à leur expliquer la peine de mort qui n’ose pas dire son nom, mais qui risque d’être bien réelle. Nous les voulons vivants chez eux ! Et nous nous battrons pour ».
Selon les Artisans de la Paix, « processus de paix, vivre-ensemble et des prisonniers sans perspective de sortie rapide, ce sont des concepts qui ne peuvent s’aligner sur une même feuille de route ».
Hitza Hitz
Un message particulier a été adressé au nouveau chef du gouvernement espagnol Sanchez : « Ce 11 janvier 2020, nous nous adressons à Madrid où un nouveau gouvernement est en place depuis peu avec, à sa tête, un président qui avait exprimé voici un an et demi sa volonté de changer la politique pénitentiaire : il a aujourd’hui devant lui l’espace de temps qui lui permet de passer des intentions aux actes ».
Un message du même style a été également adressé au président Emmanuel Macron, qui, au mois de mai dernier, avait déclaré : « le Pays Basque est pour moi un exemple de résolution de conflit et de sortie des armes. Le devoir de l’État est d’accompagner le mouvement. Nous ne devons pas faire bégayer l’Histoire, il faut l’accompagner ». Les Artisans de la paix et Bake Bidea lui ont répondu : « Nous ne lâcherons pas ces paroles, et nous posons la question : comment fait-on pour que l’Histoire ne bégaie pas ? Comment fait-on ? 2020 devra être une traduction en acte de ces paroles ».
Les organisateurs ont conclu leur discours en réaffirmant : le « fondement de notre engagement : alimenter le processus de paix, trouver une solution intégrale et définitive à la question des prisonniers, et non pas de porter atteinte aux victimes. Il n’est pas possible d’ériger les souffrances d’hier en obstacle sur le chemin de paix. La meilleure façon de respecter les victimes est de tout faire, aujourd’hui, pour que l’Histoire ne se répète pas ».
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