Source: Mediabask
En prison, Lorentxa Beyrie s’est mise à peindre, ce qui l’a beaucoup aidée à supporter la détention. © Guillaume FAUVEAU
VIDEO – Lorentxa Beyrie est sortie de prison il y deux mois. Elle a été libérée le 30 avril après avoir passé vingt ans derrière les barreaux.
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Lorentxa Beyrie a retrouvé sa liberté le 30 avril dernier. A son retour au Pays Basque, la cérémonie de bienvenue organisée par ses proches a été une « belle surprise » pour la quarantenaire kanboar, que MEDIABASK a rencontrée.
« Quand nous sommes sortis de l’autoroute, la première chose que j’ai vue c’était les gens qui criaient. J’ai pensé : ‘Je suis à la maison’. Maintenant je suis comme les Parisiens, tout me paraît vert et joli. Après avoir vu tant de gris, de froid et de métal, sortir et voir autant de vert attire mon attention » décrit l’ex détenue qui, grâce aux liens qu’elle a maintenus avec sa famille et ses amis, ne se sent pas dépaysée : « Tout m’est familier. Pendant vingt ans j’ai été très entourée. J’ai reçu des visites tous les samedis et les dimanches. J’ai vu beaucoup de monde. J’avais plus de cent droits de visite ». Mais enfermée, la jeune femme n’a pu qu’imaginer ce que devenait au fil des années le Pays Basque. « Ce qu’il me manquait c’était de voir. Je vivais comme une aveugle. Le gaztetxe de Cambo par exemple, on m’en avait parlé, je me l’imaginais, mais il me manquait encore le fait de le voir ».
Au moment de son arrestation, Lorentxa Beyrie vivait dans la clandestinité. Les souvenirs de cette époque lui reviennent souvent en mémoire, confie-t-elle. « Ce moment reste bloqué dans ma tête. C’est quelque chose de très particulier ». D’autant qu’« il y a encore des camarades qui sont en prison ». Malgré le bonheur d’être enfin libre, il lui arrive de ressentir « une certaine anxiété », notamment quand la police est dans les parages. « Comme s’il y avait un risque… ou qu’on allait m’attraper… J’ai encore cette sensation ».
L’art pour échapper au vide
De sa période de détention, Lorentxa Beyrie retient « une immense haine contre la prison ». « J’ai l’impression que c’est un système qui ne vaut rien. Ça, c’est dur. J’ai le sentiment d’avoir été détachée de ma vie pendant vingt ans. C’était le but. Ils voulaient que je me coupe de ma vie, du Pays Basque et de la famille… D’Aitzol aussi. Ils ont essayé de dévaloriser notre relation de couple, comme si cela n’avait aucune importance ».
De la fierté, c’est aussi ce qu’éprouve l’ancienne prisonnière basque :« Ils nous mettent dans leur monde pour nous couper du nôtre. Nous ne laissons pas faire cela et j’ai l’impression d’avoir réussi à m’y opposer. Ils ne m’ont pas coupée de mon monde ». Si elle y est parvenue, c’est grâce au soutien de sa famille, de ses amis ainsi que de la société civile. « Pour moi ce soutien était tout. Cela nous donne en permanence la possibilité de sortir, et c’est la chose la plus importante. Si on reste dedans, les chances sont limitées et orientées. On devient un instrument à obéir aux ordres ».
L’art sauve la jeune femme de l’abîme de l’enfermement. « J’ai beaucoup peint pendant ces années. Cela m’a offert un espace rien qu’à moi où la prison n’entrait pas. Comme je n’ai pas appris à peindre, je pouvais faire ce que je voulais. Dans la cellule, je me mettais par terre avec mes couleurs, et je restais des heures et des heures. Cela m’a offert un grand espace. On m’a aussi organisé des expositions à l’extérieur, et j’ai noué des relations par l’intermédiaire de ma mère ».
La présence des camarades apporte aussi de la chaleur dans le froid milieu carcéral. « Cela apporte un grand équilibre d’avoir quelqu’un à côté de soi pour discuter un peu et partager. Le lien entre les camarades est puissant » relate Lorentxa Beyrie. « La prison, c’est épuisant, long et dur. Cela vous met dans une situation difficile mais en même temps il ne se passe rien. Si vous ne mobilisez pas d’énergie pour faire quelque chose, vous êtes dans le vide. Vous avez l’impression d’être là pour rien ».
Durcissement du Parquet
Au cours des vingt années qu’elle a passées en prison, le contexte politique du Pays Basque Nord a énormément changé. Comment Lorentxa Beyrie et les autres détenus ont-ils traversé ces événements ? « Dans une ambiance de débat. Nous recevions la presse ». Pour elle, l’évolution de la situation (cessez-le-feu définitif, désarmement puis dissolution d’ETA) « n’a pas été une surprise ». « On voyait que quelque chose était en train de se passer. Avec des interrogations, des inquiétudes, l’envie de comprendre aussi… Les visites nous permettaient d’entendre des points de vue différents, grâce auxquels on pouvait se forger notre propre avis ».
En ce qui concerne le sort des prisonniers, Lorentxa Beyrie souligne le sentiment de « grande impuissance ». « C’est difficile de mesurer jusqu’à quel point les choses ont changé. Sans le vivre, c’est difficile à intégrer. Ça été très dur aussi de voir la lenteur, le blocage, le peu de résultats au sujet des prisonniers dans tout le Pays Basque ». Elle raconte qu’au moment du désarmement, sa cellule a été fouillée. « Il y avait un énorme décalage. On leur disait qu’ils n’avaient pas entendu ce qu’il se passait dans notre pays et ils nous répondaient que non, en disant que nous étions des prisonniers qui présentions un risque ».
Une attitude qu’elle constate aussi chez les procureurs du Parquet antiterroriste de Paris. « Leur position est très agressive. Ils font leur job à leur manière. Ils ne veulent pas qu’en France, il y ait des mouvements. Je pense qu’ils durcissent la loi pour contrôler les gens, et en cela le procureur joue un grand rôle ».
« La voie est la même »
Même si son avenir n’est pas encore bien fixé, Lorentxa Beyrie est optimiste. « Je ressens le goût de faire des choses et j’en suis heureuse. J’ai quelques projets en tête à réaliser, nous verrons. Ce qui est sûr, c’est que je vais continuer les expositions. J’ai des envies de faire des choses dans ce monde ».
Et l’avenir du Pays Basque ? « C’est une vaste question, mais en réalité je crois que la voie est la même. Nous avons déjà fait du chemin. Nous nous battons jusqu’à la libération du Pays Basque. J’ai discuté avec les jeunes, nous nous sommes sentis proches. Pour moi, cela veut tout dire ».
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