« Dans la société marchande, totalitaire, dans laquelle nous vivons actuellement, les prisons sont remplies d’hommes et de femmes d’EN BAS, humbles et simples comme le sont les paysans, les indigènes, nos voisins, les jeunes des quartiers oubliés, les précaires, les travailleuses sexuelles, les employés en lutte, ceux qui protestent. » Álvaro Sebastián Ramírez (1).
C’est à travers la Sixième Déclaration zapatiste qu’Álvaro Sebastián Ramírez a fait connaître son nom, son visage, son histoire, sa lutte. Il nous a montré ce qu’est prendre sa propre lutte entre les mains, malgré la prison. Avec lui, comme avec d’autres, on voit que les murs des prisons peuvent s’écrouler depuis l’intérieur.
Adhérent à la Sexta zapatiste, Álvaro Sebastián Ramírez, âgé de 55 ans, est un indigène zapotèque originaire de la communauté de Llano Maguey, municipalité de San Agustín Loxicha, district de Pochutla, État d’Oaxaca. Cela fait 18 ans qu’il est privé de sa liberté. Il a été condamné à 27 ans de prison pour les délits d’homicide qualifié, de tentative d’homicide, de terrorisme et conspiration.
Au moment de son arrestation, il travaillait comme enseignant, mais il était aussi engagé dans sa communauté pour l’amélioration des conditions d’éducation et de vie en général. Avec ses compagnons, il luttait pour la défense de la terre contre les caciques et le gouvernement. Il a toujours défendu la forme traditionnelle de gouvernement des Zapotèques, refusant l’ingérence des partis politiques et préservant les « us et coutumes ». Malgré l’enfermement, Álvaro Sebastián Ramírez, sa famille et ses compagnons mènent une lutte avec espoir et conviction pour sa libération.
Le 29 août 1996 un groupe rebelle de l’Armée Populaire Révolutionnaire (EPR) attaque simultanément les installations de l’infanterie de marine, de la police préventive de l’État, de la police judiciaire de l’État, de la police judiciaire fédérale et de la police municipale de Santa María Huatulco, Oaxaca.
Accusé de plusieurs délits en relation avec l’attaque du 29 août, Álvaro Sebastián est détenu le 15 décembre 1997 dans la ville d’Oaxaca et mis en prison.
Le 7 juin 2013, Álvaro ainsi qu’Abraham García Ramírez, Agustín Luna Valencia, Eleuterio Hernández García, Fortino Enríquez Hernández, Justino Hernández José, tous prisonniers de Loxicha, Oaxaca, sont transférés arbitrairement et sous torture physique et psychologique de la prison d’Ixcotel à la prison n°13 de « Mengoli de Morelos, Miahuatlán », dans l’État d’Oaxaca.
Le 20 juin 2013, les prisonniers Loxicha sont transférés de la prison n°13 de « Mengolí », vers la prison n°6 « Huimanguillo », État du Tabasco. Puis ils sont de nouveau transférés de celle-ci vers la prison de haute sécurité n°13 de « Mengolí de Morelos, Miahuatlán »(2), où ils résistent aujourd’hui.
De nuit ils ont été pris. Plusieurs personnes fortement armées, habillées tout en noir et encagoulées ont tout à coup fait irruption dans la cellule que les prisonniers partageaient. Avec violence, ils ont été fouettés contre le mur et on leur a attaché les mains derrière le dos. Ils ont été maintenus ainsi, attachés, debout pendant des heures jusqu’à ce que les hommes habillés en noir les fassent sortir de leur cellule, sans qu’ils sachent quand ils allaient revoir cette cellule qu’ils avaient partagée pendant seize ans.(3)
À l’intérieur d’Ixcotel, la cellule 22, mieux connue sous le nom de la « Cellule des Loxichas », était quelque chose d’exceptionnel. Un microcosme de la région Loxicha, une enclave culturelle et linguistique, dont les habitants communiquaient dans leur langue maternelle, le zapotèque xiche de la Sierra Sur d’Oaxaca. Cette cellule était, dans une certaine mesure, un espace libéré à l’intérieur de la prison, le résultat de dix-sept années de lutte continue pour la liberté, d’une lutte menée depuis l’intérieur d’une institution dont la raison d’être est justement la privation de liberté et le contrôle de certains humains par d’autres humains. Dans ce contexte, les réussites des Loxichas ont été formidables.
Des quelques mille cinq cents internes de la prison d’Ixcotel, les six indigènes zapotèques xiches étaient les seuls à ne pas payer « le droit au sol », une sorte d’impôt ou de tribut que tous les internes doivent verser aux « responsables », dits « caciquillos » (allusion aux grands propriétaires terrains arrogants), qui régissent chaque cellule. En revanche, les xiches de la cellule 22 s’auto-gouvernaient au quotidien, conformément au système fondé sur les us et coutumes des communautés zapotèques, leurs communautés d’origine ; ils pratiquaient ainsi une sorte de micro-système d’us et coutumes à l’intérieur de la prison. Les six prisonniers indigènes, ceux qui n’ont pas été transférés et sont restés dans la prison d’Ixcotel, choisissaient chaque année un responsable et un trésorier. Ces autorités rotatives avaient la responsabilité de s’occuper des affaires administratives de la cellule et de gérer l’argent qu’ils avaient en commun, respectivement.
Pour s’acquitter des frais collectifs représentés par l’achat, par exemple, des produits de nettoyage pour les toilettes ou des bombonnes d’eau – qui ne sont pas fournis par la prison -, les prisonniers vendaient des plantes comestibles, des légumes, des citrons, qu’ils semaient eux-mêmes en dehors de leur cellule. Ceci était une autre réussite de leur lutte, même si la majeure partie du temps, ces semences étaient destinées à leur propre alimentation, quand ils ne les offraient pas tout simplement à d’autres détenus.
Les prisonniers Loxicha étaient respectés et connus de tous dans la prison d’Ixcotel.
Le 15 décembre 2013, Álvaro écrivait à la troisième personne, une lettre intitulée « Comment Álvaro Sebastián Ramírez survit et comment il lutte contre l’isolement ». Et il nous raconte « Quand on est transféré dans un Centre Fédéral de Sécurité Maximale, on y est accueilli avec des mauvais traitements, inhumains et dégradants. Ils t’imposent leur règles et leur discipline de fer, décrétées par ceux d’en haut, ceux qui se sentent propriétaires de cette terre, et exécutées par leurs subordonnés, même les plus petits (…). Face à cette réalité qui tend à te détruire physiquement et psychologiquement, Álvaro Sebastián Ramírez, assume une attitude courageuse pour aller de l’avant, maintenir le calme, la tranquillité, la sérénité, la force, la patience, pour continuer résolument à vivre en essayant de contenir tout.
Dans la situation d’incarcération on peut changer sa manière de penser. On peut penser qu’on habite dans une ville moderne où les pies ne sont pas salies par la boue, où les trottoirs et les rues sont couverts de béton, à la différence de mon village d’Oaxaca ; que quand nous sortons travailler, c’est en voiture blindée, et que nous circulons par les rues pleines de caméras de surveillance, de postes de police Fédérale avec leurs portails électriques, de tours de vigilance et de contrôle et tout cela, sur de petites distances ; que les rues sont également remplies d’alarmes de haute technologie partout ; et que nous comptons aussi avec de petits chariots qui transportent la nourriture jusqu’aux dortoirs et aux modules.
Les habitations de cette ville sont modernes. Chacune est couverte de mailles d’acier et de protections spéciales, dans la partie inférieure et supérieure, pour empêcher les « malfaiteurs » d’escalader les habitations ; mais de toutes les façons cela est impossible, même pour les rats et les souris qui ne peuvent pas entrer dans cette ville ni ne pourraient monter dessus.
Alors, quand je me promène en voiture, je vois les montagnes, les villages voisins et les oiseaux qui sont en train de se reposer sur les toits de maisons. Sur les bancs des rues je vois les employées et employés, les travailleurs et travailleuses avec leurs uniformes respectifs et leurs identifications attachées au cou qui marchent à toute vitesse en regardant leurs montres pour ne pas arriver en retard dans les entreprises où ils travaillent : l’entreprise de cuisine, du pressing, d’hygiène, de boulangerie, de tortilleria (4), d’eau… Dans cette ville toute neuve il y a tellement de choses à décrire encore.
Quand j’ai l’occasion de sortir dans la cour pendant une heure, j’en profite pour faire de l’exercice et pour courir, et quand c’est l’heure de sortir sur les terrains je joue au basketball ou au foot ; j’en profite sinon pour écrire des poèmes, lettres, essais, pour apprendre de chansons, les mémoriser… Tout cela est une méthode de résistance contre l’isolement. »
Álvaro Sebastián Ramírez, Prisonnier politique et de conscience de la région de Loxicha, Mexique, 15 décembre 2013.
Plusieurs brigades de soutien et d’accompagnement à Álvaro ont eu lieu à Oaxaca. La dernière brigade a été convoquée pour ce 31 mars 2014. Le but : rompre l’isolement et lui rendre visite… La lutte continue !
Traduit par Les trois passants
Correction Valérie et Myriam
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(1) Extrait de la lettre envoyée pour la semaine internationale de solidarité avec les prisonnier-e-s politiques depuis la Prison Centrale de Oaxaca, Mexique, 17 avril 2013.
(2) Sur une surface de 117 hectares dans un petit village d’à peine 180 habitants et avec un budget total de cinq mille milliards de pesos a été inauguré, en mai 2013, le Centre Fédéral de Réadaptation Sociale (Cefereso) dans l’Etat d’Oaxaca, municipalité de Mengolí de Morelos, Miahuatlán. Considéré par les autorités comme une prison de « moyenne sécurité », le Cefereso N° 13 comporte un système avancé de sécurité et une équipe de surveillance de pointe. Construit par le gouvernement fédéral de Gabino Cué Monteagudo et surveillé de près par le Secrétaire de la sécurité publique, Manuel Mondragón y Kalb, ce centre sera géré par l’initiative privée et accueillera 2 500 prisonniers condamnés pour des délits d’ordre fédéral. Différentes sources signalent les traitements dégradants, les tortures, les tabassages, les coups, les menaces et même un cas d’assassinat dans le nouveau centre fédéral de réadaptation sociale de Mengoli de Morelos, Miahuatlán, Oaxaca. Selon des témoignages, tous les prisonniers transférés dans ce centre sont maltraités, tabassés avec des coups dans l’estomac ou les testicules, et giflés jusqu’à ce qu’ils prononcent les consignes que les matons leur font crier de force. Les familles ont signalé les nombreuses difficultés pour voir leurs prisonniers et leur parler. Dans la présentation officielle de ce centre, il est signalé que les visites aux prisonniers ne seront pas présentielles mais se feront par vidéoconférence.
(3) Sept pièces du puzzle Loxicha. Ce texte est la première partie d’une série d’écrits qui s’intitulent : Sept pièces du puzzle Loxicha. Ce travail collectif a été réalisé par « La Voix des zapotèques xiches en prison », L’agence indépendante « Subversions » entre autres.
(4) Tortillerias : au Mexique, ce sont les petits locaux où l’on fait et où l’on vend les galettes de maïs appelées « tortillas », comme les boulangeries en France.
Plus d’infos: http://liberonsles.wordpress.com/
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