En 1883, à l’issue de deux décennies de guerre dite « Pacification de l’Araucnia », l’État chilien octroie la plus grande partie du territoire ancestral du peuple mapuche, situé au sud du fleuve Bio-Bio, à des propriétaires terriens chiliens, des colons européens et des compagnies étrangères, réduisant les Mapuche à vivre sur des réductions de terres arides (représentant 6,4 % de leur territoire antérieur). Ils cessent d’être un peuple autonome et souverain pour devenir une minorité ethnique opprimée et pauvre.
Un peu moins d’un siècle plus tard, en 1970, le président Salvador Allende poursuit le processus de réforme agraire, amorcé, en 1967, par le gouvernement d’Eduardo Frei. L’application de la loi permet, jusqu’en 1973, d’exproprier 4 401 propriétés et aux « réserves » mapuches de récupérer 30 000 hectares de terres. En septembre 1972, une nouvelle loi indigène est promulguée qui – malgré sa brève durée -, constitue un instrument efficace pour résoudre les litiges liés à l’usurpation de terres Mapuches. Dans les provinces de Malleco, Cautín et Valdivia, des hommes et des femmes joignent leurs forces pour réaliser des « corridas de cercos » (*) et parviennent à récupérer plus de 70 000 hectares usurpés par les grands propriétaires. Mais, en 1972, ces mêmes propriétaires terriens s’organisent en « Comités de retour des terres » avec des groupes paramilitaires, dont le sinistre commando Trizano.
Le coup d’état militaire de 1973 met brutalement fin au mouvement de récupération des terres. Les organisations Mapuches sont interdites et mises hors la loi. Aux milliers de torturés enregistrés par la Commission Valech, s’ajoute 136 citoyens mapuche identifiés, disparus et exécutés politiques. On ignore combien ont enduré la prison et la torture.
La réforme agraire de S. Allende a exproprié dix millions d’hectares, mais la contre-réforme agraire des militaires en restitue six millions aux anciens propriétaires. La Corporation de Réforme Agraire vend au plus offrant 3 millions d’ha et environ un million d’ha sont répartis entre les organismes d’Etat : Corporation Nationale Forestière et Forces Armées du Chili. En 1978 il existe au Chili 2216 communautés Mapuches, totalisant une superficie de 245 000 ha. Les militaires chiliens se proposent d’introduire des réformes à la loi indigène pour « en finir une fois pour toutes avec le problème indigène ».
Avant la promulgation de la nouvelle loi, l’Institut Indigène de l’évêché de Temuco, ayant accès au texte de la nouvelle loi, le fait parvenir aux dirigeants Mapuches. 155 d’entre eux se réunissent en septembre 1978 pour discuter du projet de loi qui liquiderait le droit de propriété collective de leurs réserves. La loi sera cependant promulguée le 23 mars 1979.
Un nouveau cycle commence dans la longue lutte de la nation Mapuche. Comme l’a dit Moisès Huentelaf (assassiné en 1971) : « Rien n’a changé sur les terres de Lautaro, où la dignité maintient pour des siècles la demande de la terre juste et en notre mémoire… »
En 1990, à la fin du régime dictatorial, des conflits commencent à surgir opposant la nouvelle génération mapuche aux propriétaires terriens et aux entreprises forestières qui possédent la majeure partie des terres ancestrales expropriées par la Junte militaire à leur bénéfice. Le Conseil de Toutes les Terres, organisation mapuche fondée en 1990, mène à cette époque plusieurs occupations symboliques de terres ancestrales aux mains propriétaires privés.
La réaction de Patricio Aylwin, premier président post-dictatorial, est d’appliquer la Loi de Sécurité intérieure de l‘Etat aux actes de revendication territoriale des Mapuche, de réprimer durement leurs dirigeants, d’ordonner des perquisitions massives menées dès l’aube dans les communautés et d’imposer un état de siège permanent dans les VIIIe et IXe régions. À ces actes incessants de répression, il faut ajouter la criminalisation judiciaire des dirigeants et porte-parole Mapuche.
Eduardo Frei Ruiz Tagle, 2e président de la Concertation, s’illustre en entreprenant plusieurs projets hydroélectriques sur le fleuve Bio Bio situé à la frontière du territoire mapuche : celui de Pangue qu’il inaugure en 1997, puis un second,à Ralco, construit par l’entreprise espagnole Endesa, au cœur des cordons montagneux habités par les communautés mapuche-pehuenches.
Pour mener à bien ce projet, E. Frei destitue Mauricio Huenchulaf, directeur national de la Conadi (Corporation nationale de développement indigène) pour avoir manifesté son opposition au projet hydroélectique de Ralco, qui entrainera le déplacement forcé de centaines de Pehuenches de leurs terres ancestrales. Pour les mêmes motifs, Eduardo Frei destitue deux autres conseillers nationaux représentant les communautés pehuenches. Malgré des mobilisations massives et violemment réprimées des communautés concernées, le soutien de groupes écologistes, de parlementaires, d’ingénieurs et de hauts fonctionnaires de la propre Concertation, Eduardo Frei parviendra avant la fin de son mandat de laisser l’entreprise espagnole Endesa réaliser son projet.
Son successeur, Ricardo Lagos, poussé par les groupes économiques forestiers et touristiques, entreprend l’Opération Paciencia en proposant de « prétendues tables de dialogue » aux représentants des communautés mapuche pour tenter de venir à bout de leurs mobilisations territoriales. N’y parvenant pas, il charge les tribunaux de justice d’employer tous les outils légaux pour emprisonner les militants mapuche : l’application de la loi antiterroriste, héritage de la dictature, l‘application de la loi de sécurité intérieure de l’Etat, le recours à la justice militaire, les montages policiers et judiciaires avec, le cas échéant, le recours à la torture, de longs délais d’enquête motivant de longues détentions préventives, le recours à des témoins « sans visage » et le non -respect d’un procès équitable.
La loi antiterroriste est la plus répressive de la législation chilienne. Ses dispositions se durcissent sous la « démocratie » de la Concertation afin de sauvegarder les intérêts de l’élite politique et économique chilienne. Il faut rappeler que la loi pour comportement terroriste a été modifiée en 1994. Ce qui permet d’y ajouter de nouveaux arguments de répression juridique. En 2000, une nouvelle modification y est apportée en raison des revendications mapuche et notamment pour répondre au développement de la Coordinadora de Communautés en Conflit Arauco-Malleco (CAM), considérée comme le mouvement le plus radical.
Les gouvernements suivants de la socialiste M. Bachelet et du conservateur S. Piñera -–poursuivent la même politique de mépris et de répression à l’encontre du peuple mapuche entraînant son exode vers les villes, la perte de sa culture et une grande pauvreté sur le peu de terres que l’Etat chilien lui a concédées. Cette répression touche aussi les villes où se trouvent les réseaux de solidarité de la résistance mapuche.
Une répression qui va jusqu’à l’assassinat. Le 3 janvier 2008, sous le gouvernement de Mme Bachelet, Matias Catrileo Quezada, jeune étudiant en agronomie mapuche âgé de 22 ans, est assassiné d’un tir dans le dos par un officier de gendarmerie, lors d’une récupération pacifique de terres dans la commune de Vilcun. D’autres meurtres en mémoire : Alex Lemun en 2002, Julio Huentecura Llancaleo, en 2004, Xenon Diaz Necul en 2005, José Huenante, 16 ans, détenu et disparu, Juan Collihuiun Catril, en 2006, Johnny Cariqueo Yañez, en 2008, Jaime Mendoza Collio et José Toro Nanco, en 2009, et Rodrigo Melinao, 26 ans, le 6 août 2013..
Les principales revendications des Mapuche : l’autonomie juridictionnelle, la récupération des terres ancestrales, la reconnaissance de leur identité culturelle, l’indispensable consultation pour tout ce qui concerne des projets affectant leur environnement et la liberté de tous les prisonniers politiques.
(*) La première corrida de cerco a lieu à Cautín en mai 1970, menée par la communauté Mañio Manzanal. Il s’agit d’ôter les barbelés, puis les pieux, et rétablir la clôture aux limites établies par le titre de propriété. La consigne des communautés Mapuche est : « La lutte nous donne ce que la loi nous refuse ». Des centaines de corridas de cerco sont réalisées entre 1970 et 1973.
Terre et Liberté pour Arauco – 12 février 2014
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